Journal estival d’une entrepreneure en questionnement*
*Ce texte a été écrit par l’une de nos entrepreneures du FEM, qui a voulu garder l’anonymat. Elle souhaitait partager son ressenti avec d’autres entrepreneures et entrepreneurs qui pourraient vivre aussi avec une certaine anxiété ce changement de rythme qui vient avec l’été et se poursuit avec l’arrivée de l’automne.
Je suis une femme portant plusieurs manteaux. Ceux de mère, conjointe, professionnelle et entrepreneure. Ce dernier me couvre parfois confortablement, m’inspire ; d’autres fois, il m’étouffe, me fatigue ; ou encore, ce manteau semble revêtu à l’intérieur d’un tissu froid, peu accueillant. La transition entre l’été et l’automne, voilà ce qui parait facile et naturel, mais qui s’avère, chaque année, un défi de taille ! Pour l’illustrer, laissez-moi me raconter…
C’est l’été, enfin ! Les enfants ont fini l’année scolaire et sont à la maison. Le plus petit s’en va au camp de jour pour quatre semaines. Hourra ! J’ai eu la place ! Il est content, il pratiquera le sport qu’il voulait. Par contre, mon adolescent reste, comme toujours, accroché à son cellulaire, enfermé dans sa chambre, malgré les rayons de soleil qui se faufilent parmi les rideaux et ma voix qui l’anime à sortir faire une marche ou à partager avec ses amis.
Dehors, les piscines sont ouvertes, la verdure règne et les gens sourient plus souvent. Dans mon bureau, mes cahiers sont remplis des notes, les notifications des courriels retentissent sans arrêt et il y a un tas de travail à faire. Je me sens presque prise au dépourvu par ces beaux temps. J’ai l’impression que je n’ai pas fait assez pendant l’hiver ni le printemps. Et ce, même si j’en ai fait beaucoup !
Je me dis que je vais profiter pleinement de ces semaines où mon garçon sera occupé. Je m’organise, je prépare ses lunchs à l’avance, je dresse ma liste de priorités, puis je me dis qu’au pire, en juillet, je donnerai 110 % de mon énergie au boulot et lorsqu’il sera à la maison, je travaillerai au ralenti, avec l’appui de mon conjoint et associé, qui fera de même.
Ça débute bien, comme prévu. Or, quelques jours après, la COVID-19 s’installe chez nous sans s’annoncer. Gracieuseté du camp de jour ! Le tristement célèbre virus fait le tour de la maison : on a tous des symptômes plus ou moins dérangeants, rien de grave heureusement. Moi, la dernière à me rétablir avec une toux et une fatigue qui durent des semaines.
Je travaille quand même doucement. J’avance, mais la concentration me manque, mon énergie s’évapore ; j’ai grandement besoin d’un repos !
Je me questionne même sur ma vie d’entrepreneure… Est-ce que c’est sensé ? Ai-je visé trop loin ? Pourrais-je un jour avoir un vrai équilibre ? Devrais-je changer de carrière ? Quelque chose de moins angoissant ? Mais je sais bien que le stress vient de moi, et pas nécessairement de mon job. C’est plutôt ma façon d’être… je parle de ce sens de responsabilité qui me fait sentir très, mais très mal à l’aise quand je dois revoir un échéancier ; ce trou dans la poitrine quand je crois que le rendu final n’est peut-être pas à la hauteur.
Je parle de cette pression qu’on éprouve sur ses épaules lorsqu’on est à la tête d’une jeune entreprise et qu’on manque des collaborateurs avec le bon profil. On se retrouve à être le seul à pouvoir livrer un produit avec la qualité que son client espère. Au mépris de cet engagement qui affecte ma sérénité, la fatigue accumulée l’emporte sur le To-Do List.
Pour m’évader, rien de mieux que regarder la dernière saison de Stranger Things qui m’attend sur Netflix. Je ne veux que lire ces bouquins qui patientent sur ma Kindle et apprendre davantage sur ces autres sujets qui me passionnent et qui n’ont rien à voir avec mon métier. J’ai le goût de préparer un beau souper pour ma famille, faire une promenade parmi les arbres, et méditer. Ce que je ne veux pas faire maintenant, ou plutôt, ce que je suis incapable de faire, c’est de travailler… Même si ça m’arrive de faire plusieurs fois mes tâches dans ma tête (ça semble si facile, mais mon corps ne suit pas).
J’avoue me sentir un peu coupable, c’est mon conjoint qui ne laisse pas couler le bateau, quel soulagement ! Des questions me hantent… Devrais-je carrément jeter l’éponge ? Me chercher un boulot ? En tout cas, ça serait le bon moment, il y en a plein d’offres. Sauf que je n’ai pas l’ADN d’employée… Ou changer de carrière ? Oh oh ! Ça a l’air d’une crise de la quarantaine. Je respire, pis je me dis de faire taire ces questionnements. Je pense à ceux qui ne peuvent pas s’arrêter, car ils ont un magasin ou un restaurant. Wow ! La résistance, quoi !
Moi, ça me prend absolument une belle sortie en famille, un changement de décor. On écarte l’option de voyager à l’extérieur, trop dispendieuse pour notre budget ! On se dit de rester positifs, de faire confiance que les affaires iront bien. Si l’on ne recharge pas maintenant, on ne tiendra pas le coup. En tout cas, pas moi.
On part dans un chalet, ici, au Québec. Oh ! La magnifique forêt, les sons de la nature, l’air frais, les étoiles ! Faire des randonnées, se baigner dans le lac, pratiquer le kayak, allumer un feu en soirée ; on peut se permettre de partager autrement. J’apprécie le coucher du soleil et le gazon humide, je sens que je respire mieux.
On rentre. Je tente de m’adapter à nouveau à la routine de la maison, sauf que je suis toujours « en mode avion ». J’achète les fournitures scolaires presque à la dernière minute. J’aimerais avoir plus de temps…
Comme une vague montante, la réalité me frappe de plein fouet. Les échéanciers sont à la limite. Plus le temps de me poser des questions, il me faut produire, répondre à mes engagements, faire rentrer l’argent.
Finalement, revenir sur terre n’a pas été si mauvais que ça. Je dois juste surmonter mes doutes, mettre mes talents à profit une fois de plus, faire mon boulot.
Ça pourrait me prendre encore quelques jours pour retrouver le rythme « normal ». Peu importe, il faut y aller parce que c’est parti ! Une nouvelle année de travail a commencé.
Je suis une femme, je suis entrepreneure, je suis résiliente !