Le microcrédit au Québec et dans le monde
Ce mois-ci nous changeons le ton habituel pour quelque chose de plus sérieux… De la main de Suzanne Tremblay, Marie Langevin et Marco Alberio, professeurs universitaires et auteurs[1], découvrons ensemble le parcours de la finance solidaire ici et ailleurs, ainsi que ses contributions historiques à la démocratie financière. Une façon de plus de souligner la Journée nationale du microcrédit entrepreneurial, qui a eu lieu le 11 mars dernier.
Origine de la microfinance moderne
C’est dans les années 70 que le microcrédit est apparu, d’un côté au Bangladesh, grâce au modèle de la Grameen Bank, développé par l’économiste Muhammad Yunus ; et d’un autre côté en Amérique latine, au sein du réseau ACCION, fondé en 1983 et réunissant des institutions de microfinancement.
Le but du microcrédit
La microfinance est donc née au sein des ONG engagées dans la lutte contre la pauvreté. Dans ce sens, autant en Asie qu’en Amérique latine, ces programmes cherchaient à accorder des prêts de faibles montants à des personnes exclues du système de crédit traditionnel.
Institutionnalisation de la microfinance
Deux acteurs majeurs ont contribué à l’institutionnalisation de la microfinance :
- Les coopératives, dont la volonté et l’argent des membres ont servi à appuyer des projets de développement ;
- Les institutions internationales, notamment la Banque mondiale, qui ont aidé à répandre la pratique de la microfinance dans les années 90, et ce dans le cadre des réformes néolibérales visant, entre autres, à pallier le surplus de main d’œuvre.
L’évolution du microcrédit : concept et application
Depuis ses débuts, le concept de microfinance a été lié à la lutte contre la pauvreté. Avec le temps, il est aussi devenu un outil d’autonomisation (empowerment) des populations défavorisées. D’ailleurs, dû à son succès initial, l’offre des services s’est élargie, ajoutant aux prêts d’autres services financiers : épargne, assurances et transfert des fonds. À noter qu’avant les années 90, on parlait plutôt de « services financiers décentralisés[2] ».
Depuis la fin des années 2000, on parle d’inclusion financière et de démocratie financière, des concepts qui s’insèrent dans une perspective de développement économique ET social, et qui comprennent non seulement l’accès au microfinancement, mais également à l’éducation et à l’information.
Le microcrédit gagne en visibilité
Deux évènements ont été essentiels à la reconnaissance internationale de la microfinance :
- L’année 2005 a été déclarée par l’ONU comme l’Année internationale du microcrédit ;
- « Le banquier des pauvres », Muhammad Yunus, a remporté le prix Nobel de la paix en 2006. L’un de ses grands apports a été d’améliorer la situation financière et sociale des femmes dans une société patriarcale comme l’Inde.
De la mission sociale à la rentabilité
Historiquement, il existe deux tendances en microfinance :
- Le modèle global, dont la mission est sociale et qui adhère, alors à « un programme politique ». Cette tendance reconnaît « l’accès au crédit […] comme insuffisant pour sortir du cycle vicieux de la pauvreté et on adjoint aux microprêts une gamme d’initiatives complémentaires d’ordre social pour soutenir les emprunteurs et les emprunteuses (alphabétisation, formation professionnelle […], etc.[3] » ;
- Le modèle minimaliste, qui domine aujourd’hui dans le monde, « est calqué sur le fonctionnement des institutions financières traditionnelles. Il s’appuie sur des organisations de microfinance rentables et financièrement autosuffisantes, ce qui implique qu’on délaisse […] la prestation de services complémentaires et la structure de financement s’appuyant sur des donateurs privés, publics, multilatéraux ou locaux.[4] »
Crises majeures de la microfinance dans le monde
Des marchés de la microfinance dans des pays comme le Maroc, le Nicaragua ou la Bosnie ont traversé des crises importantes dans les années récentes, notamment dues à l’incapacité des emprunteurs à rembourser les crédits. Ceci, en grande partie, à cause des pratiques répondant au modèle commercial, où la rentabilité du système prime sur le bénéfice de l’emprunteur. De ce fait, de plus en plus des crédits sont accordés sans nécessairement vérifier que ceux-ci aient un impact direct et positif sur l’augmentation de revenus des promoteurs.
Naissance du microcrédit au Québec
Le passage d’une économie industrielle centrée sur la production (manufacture) vers une économie postindustrielle orientée vers des services peu qualifiés dans la décennie de 1980 a entrainé des défis importants, tels que la perte d’emplois et la subséquente augmentation du chômage, ou encore la précarité des emplois.
C’est au cœur de cette transformation économique et sociale que le crédit communautaire québécois a émergé avec les fonds communautaires et les cercles d’emprunt. Sous une optique de protection sociale de la part du Gouvernement, les politiques de développement local, économique et communautaire ont été alors créées. L’origine de la pratique de la microfinance dans le territoire québécois est ainsi intimement liée au marché du travail et à la crise de l’emploi, et aux efforts des ONG pour développer l’employabilité et l’économie sociale.
Entrepreneuriat et microcrédit
La création de microentreprises est devenue une solution pour faire face aux problématiques du marché du travail mentionnées précédemment. C’est dans ce contexte que les premiers organismes de crédit communautaires ont vu le jour. L’Association communautaire d’emprunt de Montréal (ACEM), fondée en 1990, a été l’une des pionnières de la microfinance d’ici. Elle avait non seulement la mission d’accorder des prêts, mais également d’accompagner les promoteurs dans la création de leurs projets entrepreneuriaux.
La création des microentreprises est donc une voie pour favoriser l’employabilité et l’insertion professionnelle : « De nos jours, plus de 60 % des microentreprises ayant été créées grâce au soutien d’organismes de crédit communautaire au Québec sont dans les faits des travailleurs autonomes.[5] »
Le Réseau québécois de crédit communautaire (RQCC), aujourd’hui le réseau MicroEntreprendre, a été créé en 2000 afin de regrouper les organismes de microfinancement à travers la province. Plus de deux décennies plus tard, nous sommes 20 membres répartis dans les 17 régions du Québec.
Microcrédit : au Québec vs dans le monde
Au contraire du modèle minimaliste adopté par la grande majorité des pays, et qui fonctionne comme un sous-secteur financier ; au Québec, le modèle global originalement adopté a été conservé jusqu’à aujourd’hui, et ce, malgré les divers changements des politiques publiques à travers les années.
En quoi consiste le modèle de microcrédit québécois ?
Plusieurs facteurs influencent la pratique de la microfinance dans le territoire québécois…
- Elle a une orientation socioéconomique : puisque le microcrédit trouve son origine dans le développement économique communautaire, les besoins sociaux et économiques sont comblés afin d’améliorer les conditions de vie des citoyens, par exemple, avec la création d’emplois et la création d’entreprises (aspects économiques), qui favorisent l’insertion professionnelle et l’inclusion de personnes marginalisées (aspects sociaux).
- Elle est ancrée dans l’écosystème de l’économie sociale et solidaire : puisque les organismes de microcrédit appartiennent au tissu associatif de leur territoire d’intervention, leurs démarches reposent sur le capital social de leur communauté locale, y compris les fonds d’emprunt et le savoir-faire.
- Elle s’insère dans l’économie plurielle : « […] le crédit communautaire allie l’économie privée et associative puisqu’il soutient à la fois les microentreprises privées, les coopératives et les OBNL.[6] »
Ainsi, les organisations de microfinancement entrepreneurial comme la nôtre, le Fonds d’Emprunt Montérégie, « sont considérées comme des organismes de soutien à la finance solidaire de l’économie sociale[7] ». Elles se caractérisent pour trois composantes :
- L’accompagnement de proximité, basé sur le lien de confiance entre l’entrepreneur et son conseiller en développement entrepreneurial afin d’assurer le succès du projet ;
- L’accès au microcrédit qui permet aux individus oubliés par le réseau bancaire (des personnes à faible revenu, de plus de 40 ans ou issues de l’immigration, p. ex.) de faire avancer leurs projets d’entreprise ;
- Le fonds d’emprunt provenant de la communauté sous forme de dons et d’investissements de la part des fondations, des institutions financières, des OBNL et des personnes qui ont à cœur la cause de l’inclusion sociale.
Grâce à cette approche globale, les organismes de microcrédit — responsables d’aider les Québécois et les Québécoises qui ont un projet entrepreneurial viable que ce soit en étape de démarrage, de croissance ou de consolidation/redressement, mais qui se voient refuser leurs demandes de prêt — continuons à développer avec fierté notre mission d’inclusion sociale et financière.
[1] Tremblay, S., Langevin, M., & Alberio, M. (2022). La trajectoire du crédit communautaire au Québec : innovation, résistance et recomposition. Revue Organisations & Territoires, 31(1), 111-117. https://doi.org/10.1522/revueot.v31n1.1452
[2] « La crise de la microfinance : crise de maturité ou d’un modèle de financement ? Synthèse du Séminaire d’Epargne Sans Frontière et du projet Microfinance in crisis, organisé le 18 décembre 2013 à la Caisse des Dépôts », Techniques Financières et Développement, 2014/2 (N° 115), p. 79-101. https://www.cairn.info/revue-techniques-financieres-et-developpement-2014-2-page-79.htm
[3] Tremblay, S., Langevin, M., & Alberio, M., op. cit., 112.
[4] Ibid.
[5] Ibid., 114.
[6] Ibid., 115.
[7] Ibid.